Apéro latinophile

Vous connaissez peut-être ce moment où, en buvant des bières avec vos amis, vous entrez dans un nuage de semi-conscience, et où tout autour de vous commence à mériter un nouveau regard. Il y en a qui bloquent sur le piercing de la personne en face, ou une tache bizarre au plafond, d’autres sur la devise de la bouteille qu’ils ont entre les mains. On ne se refait pas.

Eh oui, bon nombre de (bonnes) bières arborent des devises en latin : en effet, selon une démonstration d’une rigueur exemplaire, qui dit bonne bière dit (souvent) bière belge, qui dit bonne bière belge dit (souvent) bière d’abbaye, ou du moins tradition des bières d’abbaye, et qui dit abbaye dit moines et latin. CQFD.

Passons aux exemples :

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(Vous connaissez peut-être la première étiquette, l’autre est plus ancienne. Néanmoins, Grimbergen a conservé sa devise, qui se trouve maintenant en petit illisible tout en haut : )

Ardet nec consumitur

Allez, je vous écoute.

…Bon, pour vous aider, regardez l’oiseau : doré, les plumes comme des flammes… L’emblème de Grimbergen est un phénix, oiseau qui, arrivée à la fin de sa vie, brûle et renaît de ses cendres…

Ardet = (il) brûle

nec consumitur = et ne se consume pas

…La classe, non ? Ça me fait un peu penser à la salamandre de François Ier, qui a elle aussi une devise latine…  Mais je vous en parlerai une autre fois, en visitant les châteaux de la Loire, peut-être.

Next :

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(Alors pareil, Leffe, en changeant son étiquette, a relégué la devise sur la petite étiquette du dessus ou la partie métallique du goulot, je ne sais plus. Et encore, elle n’apparaît peut-être pas sur toutes les variétés. Mais je l’ai vue de mes yeux vue.)

Ex opere messis

Plus compliqué. L’image dans le médaillon au-dessus aide bien : il est fait allusion cette fois aux matières premières de la bière. Pour ceux qui ne le savent pas : eau, malt (= orge germé), houblon. Plus précisément, ici, l’orge et les éventuelles autres céréales constituant le malt, ingrédient majeur qui va fournir les sucres transformés plus tard en alcool.

messis, is, f = la moisson ; opus, operis, n = le travail, et en particulier ici le travail des champs

=> « À partir du travail de la moisson »

Là, je ne m’explique pas trop l’idée sous-jacente : valorisation du travail ? Insistance sur l’origine naturelle des ingrédients ? La deuxième option me paraît carrément anachronique… Sauf à mettre en avant l’aspect sanitaire de la boisson ?

Ha ha, quelle transition ! Car vous vous êtes peut-être interrogés, éminents lecteurs, sur cette question que j’ai habilement laissée en suspens jusqu’ici : mais pourquoi les moines fabriquaient-ils traditionnellement de l’alcool ? (Ça vous paraît peut-être tout à fait normal, à vous, mais c’est une question qu’on m’a posée plusieurs fois)

D’une, vous pouvez oublier l’idée d’un interdit religieux sur l’alcool dans le christianisme ; ainsi que l’idée qu’on se fait souvent aujourd’hui de l’alcool, à savoir un breuvage fait principalement pour se torcher la tronche. On parle ici de bières pas forcément très alcoolisées, du moins à la base (aujourd’hui, la Leffe la moins alcoolisée est titrée à 5%, et Grimbergen à 6%, ce qui n’est déjà pas énorme, mais ça pouvait être moins).

Le processus de fabrication de la bière, puisqu’il demandait de faire bouillir l’eau, présentait un grand avantage : la boisson obtenue était stérile… Ce qui était loin d’être le cas de l’eau qu’on buvait, froide, et qui occasionnait toutes sortes de maladies plus ou moins susceptibles de vous rapprocher de la tombe, de la simple diarrhée au choléra.

Ainsi en France, jusque dans les années 1960 encore, l’eau était une question de santé publique, au point que, dans certaines écoles primaires du Nord de la France, on servait aux enfants le midi, plutôt que de l’eau, un petit verre de bière très légère (moins de 1 degré), pour des questions sanitaires… (Je tiens à préciser que les adultes qui ont résulté de cette habitude qu’on qualifierait aujourd’hui de monstruosité sont en pleine possession de tous leurs moyens intellectuels et physiques, aucune répercussion n’ayant été à déplorer suite à cela. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de risque – je ne suis pas médecin, je n’ai aucune compétence sur cette question.)

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Mais l’histoire d’amour entre la bière et le latin ne s’arrête pas là (j’en parle ici, parce que je ne saurais pas où le caser autrement) : le houblon, l’un des trois ingrédients fondamentaux de la bière donc, se dit en latin lupulus, c’est-à-dire…

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…le petit loup !

(Pourquoi : apparemment en raison d’une erreur des Romains, qui auraient cru que le houblon se nourrissait de la sève des plantes sur lesquelles il grimpe. Dixit wikipedia, et je vous avoue que j’ai la flemme, ici, de vérifier l’authenticité de l’information.)

Ce qui a donc fourni à une brasserie belge un nom et une étiquette très chouettes pour leur nouvelle bière.

Concernant les devises de bières proprement dites, il y a d’autres exemples, mais comme je ne passe pas mes soirées à noter les noms des bières latin-friendly, et que la saison des apéros-bière est bien loin, je manque un peu d’inspiration. Mais promis, je ferai une mise à jour à la prochaine devise que je rencontre.

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Cognitio ad finem peregrinationis …

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