Des poubelles qui ont la classe

Aujourd’hui, nous réhabilitons les poubelles. Et on va même voyager avec.

des-poubelles-qui-ont-la-classe-1

Et parce que c’est l’origine de tout, le nombril du monde, tout ça tout ça, on commence, vous l’avez deviné, par…

des-poubelles-qui-ont-la-classe-2…Rome. Et parce que c’est Rome, quoi, on ne va pas laisser les poubelles et les plaques d’égout sans symboles. Je pense que vous avez tous reconnu le relief : la louve allaitant les jumeaux Romulus et Rémus, futurs fondateurs de la ville, et le sigle SPQR.

La louve est un symbole extrêmement important pour les Romains : signe de force et de puissance de la ville, mais aussi de l’élection de ses fondateurs par la volonté divine… Les jumeaux, qui auraient pu – dû – mourir noyés, non seulement sont épargnés par le Tibre mais en plus sont nourris – fait extraordinaire, prodigium – par un animal réputé féroce. Ce mythe avait un potentiel symbolique autrement plus intéressant que la version plus réaliste, également rapportée par Tite-Live, où la louve est en réalité une prostituée, autre sens possible de lupa. En tout cas, l’emblème a connu un grand succès : convenant tout à fait à l’idéologie fasciste, il a bien sûr été récupéré par Mussolini ; et aujourd’hui encore, il est diffusé dans le monde entier via le logo de l’AS Roma…

Quant à SPQR, abréviation de Senatus PopulusQue Romanus (« Le sénat et le peuple romain »), il s’agit de la devise de la République romaine, qui rappelle les organes de la société ayant le pouvoir : le sénat et l’ensemble des citoyens. Cette devise a subsisté inégalement au Moyen Âge, et a été intégrée aux armoiries de la ville de Rome à la fois par référence à la ville antique et sous une forme réinterprétée – « Sanato Popolo Qumune Romano » (Le sénat, le peuple, la commune de Rome)…

Passons de l’autre côté de la Gaule, où on met ses armoiries sur les poubelles municipales :

des-poubelles-qui-ont-la-classe-3Ici, l’origine est beaucoup moins ancienne. La devise et certains éléments des armoiries remontent au XVIIe siècle seulement, ce qui n’empêche pas le choix du latin. (D’une manière générale, une très grande partie des devises de ville, et en France aussi, sont en latin, sans pour autant remonter bien sûr à l’empire romain. Influence en tant que langue de l’éducation et langue liturgique, touche ancienne, le latin séduit beaucoup quand il s’agit de se trouver une devise. Et puis c’est la classe, c’est tout.)

Bon avec tout ça, vous avez eu le temps de réfléchir à une traduction :

Domine nos dirige

Ça va, non ?

Domine = dominus, i, m au vocatif => « Seigneur » (contexte chrétien, voir la croix de Saint-Georges, emblème de l’Angleterre qu’on retrouve aussi sur le drapeau du Royaume-Uni)

dirige = dirigo, is, ere à l’impératif => j’ai vraiment besoin de traduire ?

nos = « nous », accusatif => euh… « nous »

= « Seigneur, dirige-nous »

Rien à ajouter, une devise chrétienne, quoi.

N’empêche que moi j’aimerais bien avoir des dragons sur les poubelles dans ma rue.

À Paris, on a négligé les poubelles, mais ce n’est pas plus bête : sur les lampadaires, la devise se trouve à hauteur d’yeux…

des-poubelles-qui-ont-la-classe-4…Et maintenant, vous la connaissez tous.

Fluctuat nec mergitur

Fluctuat => il/elle est balloté(e), agité(e) (le bateau, la ville…)

nec mergitur : mergo, is, ere = immerger, plonger au passif => et n’est pas immergé, et ne coule pas.

Cette devise, avec le symbole du bateau, était celle de la puissante corporation des Nautes, très active à Lutèce/Paris, un port fluvial important. On doit à Haussmann d’en avoir fait la devise officielle de Paris. Et son pouvoir symbolique s’est encore vérifié récemment…

Allez, une poubelle française, quand même :

des-poubelles-qui-ont-la-classe-5On y voit le saint patron de la ville, Tropez, et une devise :

Ad usque fidelis

…qui est un peu elliptique. Il faut lire Usque ad [mortem] fidelis.

fidelis, e = fidèle ; usque ad + acc. = jusqu’à ; mors, mortis, f = la mort

Il s’agit ici d’une allusion à la légende de saint Torpes (ou Tropez par métathèse), né Caïus Silvius Torpetius. Patricien de Pise, il aurait proclamé sa foi chrétienne devant Néron qui, après lui avoir fait subir divers supplices, l’aurait décapité et jeté son corps dans une barque avec un chien et un coq pour seule compagnie. Après avoir dérivé un certain temps, la barque aborde aux rivages de la future Saint-Tropez, où une femme découvre le corps intact et les deux animaux bien sages. Bref, ad usque fidelis, et votre cadavre reste lisse. (Hu hu)

 

Sur ce, j’arrive à court de poubelles. Ce qui me rappelle que non seulement les miennes n’ont pas de latin, mais qu’en plus elles ne se vident pas toutes seules. C’est nul. Je vous laisse.

 

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Nyaad dit :

    Très intéressant, grâce à cet article on voit vraiment que le latin est partout, même où on ne l’imaginerai pas.

    J’aime

  2. Maximus dit :

    Et je ne vous parle même pas de poubelles de Bayonne arborant fièrement la devise municipale: Nunquam polluta! Quel comble!

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire